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Triompher des nuits



Après un chagrin, j’appris à rebondir vite, question de survie. Mais pour cela, il fallait quelques étapes intermédiaires que je finis par reconnaître. D’abord la morsure de la souffrance qui pique comme le dard d’une guêpe. Elle vient me rappeler l’existence de mon coeur, j’ai vu tant de gens en étant dépourvu que cela me rassure toujours un peu, le mien au moins, je ne peux le nier, se manifeste très régulièrement… Après la brûlure vive de la piqûre, la sensation physique du mal qui se propage dans les tissus de la poitrine et vient serrer si fort de milles liens coupants mon cœur que je sens se dilater et se rétracter tour à tour sous les plis sinueux et profond de la souffrance. Cette étape est toujours la plus redoutée, elle donne l’impression que la seule issue serait de cesser d’exister sur le champ. Mais à ne pas s’y méprendre, quand cette terrible phase, la plus longue et intense de toutes, vient à s’achever, c’est toujours sur une grosse vague qui lèche et nettoie les plaies, une grosse vague qui soulèverait et emporterait le corps d’un chien allongé sur le sable, avec force et délicatesse, le laissant abandonné à lui même, sans presque troubler le cours de son sommeil. Cela tangue, le cœur se remet d’aplomb, il se souvient que la douleur a ses leçons, qu’elles sont toujours nécessaires pour la suite. C’est l’agrandissement d’une carte, quelques dénivelés, des endroits inconnus qui deviennent sacrés, des lieux où se perdre. Tu y reviendras souvent quand la vie distillera ses blessures comme le Petit Poucet ses cailloux, pour te diriger, la douleur n’a pas son pareil, elle fait tomber les illusions, déchire les habits des autres, ceux qui ne sont pas taillés pour toi. Toi, tu as appris à te diriger les yeux fermés et le cœur ouvert, à chaque fois que tu as tenté d’en faire autrement tu as trébuché violemment, tu n’as pas vraiment le choix. La vie n’accepte pas que tu verrouilles cette sensibilité que tu portes en filigrane. Si c’est pour éviter les éraflures, autant apprendre à marcher dans le noir. Ta seule boussole, elle palpite sous la poitrine. Tu as tenu souvent des éclats de verres coupants dans les mains, tu ne t’es pourtant jamais habitué à la souffrance qui te tombait dessus comme s’écrase une tempête sur la ville. Le poids qu’elle pesait sur tes épaules, la déflagration soudaine, te mobilisait à terre, il fallait attendre, le souffle coupé, attendre que cela passe. Une éternité parfois, et cela passait toujours, c’était la dernière étape. Après tu pourrais même en faire quelque chose de toute cette souffrance, tu pourrais comprendre les autres, tu pourrais tout simplement rectifier le tir de tes blessures et de leurs suites logiques. Alors enfin, tu pourrais modifier pour toujours la trajectoire de ta vie, briser les barrières imposées, les schémas insensés, ne plus te retourner. Tu connaîtrais la liberté et le prix à en payer. Mais surtout, parce-que tu avais appris à nager en eaux troubles, à chaque rayon de soleil tu renaissais, le goût salé sur les lèvres et les cicatrices effacées. Tu nageais dans un océan de confiance, trempée depuis toujours par le flux de la vie et ce qu’elle voulait bien faire de toi, mais enfin tu lâchais prise dans le courant et venait alors la jouissance. Inconcevable pour un simple mortel, étincelante à en perdre la vue, immense comme les horizons sous ta peau, encore plus intense que la souffrance. Au milieu des éclats lumineux qui tapissait la surface de l’eau, ta nuit intérieure ne résistait pas et commençait à se déliter ; chaque éclats visitait et illuminait ton âme. C’était le goût du bonheur qui inscrivait de nouvelles routes, traçait de nouvelles circonférences, un nouveau sens qui éclaboussait de lumière toutes les ombres. Comme le jour appartient à la nuit, tu lui appartenais. Mais la vraie difficulté, ce serait de recommencer toutes ces étapes sans te fermer, accueillir la détresse, lui laisser une place, la laisser infuser, sachant qu’elle n’abimerait rien en partant, qu’elle purifiait simplement ce qui devait l’être. Que tu retrouverais toujours le chemin de l’océan immense, t’enveloppant entièrement de ses eaux chaudes et que le rire coulerait encore du fond de ta gorge jusqu’aux vallées lointaines et que ce sera la seule chose dont tu te souviennes, au bout du compte ; cette ivresse. L’ivresse de vivre.


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